« Le temps est plus long que large… »
Jean-Louis est une personnalité qui a marqué le village. Comme Olivier Chabreyrou, le maire actuel Jean-Louis fut un jeune élu. Son mai avait eu lieu dans l’ancienne salle des fêtes attenante au château, et qui s’écroula au début des années quatre-vingt.
En ces temps glorieux, la salle des fêtes servait aussi de salle de cinéma. Le spectacle n’était pas sur l’écran, mais dans la salle. On y passait des films plutôt d’un genre comique, qui suscitaient commentaires et rires. Ils fusaient pendant toute la durée de la projection.
Comme René Bordas, Jean-Louis penche d’un côté : du même, il me semble. Ce sont sans doute les vents d’ouest qui influent sur leurs carcasses d’hommes des terres… Il sait raconter, a le génie du détail, parle des petits travers des uns et des autres, avec des mots pleins de tendresse. Quand je cite l’abbé papillon, il ajoute que ce curé, qui avait fait la guerre de quatorze dix-huit dans les tranchées, était plein d’indulgence. Il offrait le pardon des péchés en échange d’un verre de bon vin…
Jean-Louis cite Agard Tarrier, qui vivait Faubourg Notre Dame, mort il y a quelques années. Il ne savait que faire de sa retraite, de tout ce temps libre. Il se levait tôt le matin pour faire son petit tour de village. Il vérifiait l’état de la voirie, les mains nouées derrière son dos. Puis il s’en allait, hochant la tête et marmonnant :
« Les cantonniers ne foutent rien dans cette commune ! »
A l’époque ladite commune avait embauché un employé originaire de la Martinique. Agard n’avait guère vu de personnes de couleur au village, et nourrissait de bon vieux préjugés, aussi colorés que ceux de l’emballage du Banania. Il fit, de loin, une remarque désobligeante que le nouvel embauché entendit, et à laquelle il répondit en Langue d’Oc :
» Mais si, Monsieur, je suis aussi français que vous ! «
L’histoire fit rire tout le monde. La cantonnier prit l’habitude d’arriver au café des Tilleuls, en demandant un « petit blanc » à Albert Parisien, qui servait ses clients avec bonhomie… Quand on demandait son origine au nouvel embauché, il répondait invariablement :
« Du Périgord noir… »
L’ancien maire a été marqué par ses démêlés avec les architectes des bâtiments de France. Il faut dire que, dans le périmètre autour du château, toute modification passe par cette fourche de Caudines. Il faut consulter les beaux-arts pour la couleur des huisseries, des contre-vents, des portes, la taille et la forme de tuiles, la pose de vélux, la construction de chiens assis. Un vrai casse-tête…
Jean-Louis reçoit un jour les propriétaires d’une maison rue de Saint-Julien de Bourdeilles. La pose de tuiles romanes leur a été refusée : les beaux-arts exigent des tuiles canal. Deux semaines plus tard un camion décharge des tonnes de tuiles romanes sur le chantier du nouveau lotissement H.L.M. Le technicien, interrogé sur le sujet, répond sans se démonter :
« Certes, ce sont des tuiles romanes, mais le lotissement est construit pour les pauvres… »
Lassé de ces turpitudes avec les Bâtiments de France, Jean-Louis décida un jour de faire monter les deux cent marches du Donjon à son délégué. Arrivé sur plate-forme de la tour, qui penche comme Jean-Louis et René, le brave homme s’indigne de voir un toit aux tuiles alternées « chocolat » :
« Cette maison sur la colline en face : c’est affreux ! déclare-t-il. Qui a laissé faire cela ?
– Monsieur l’architecte ! Rétorque le maire, c’est le seul propriétaire à avoir respecté vos indications : vous avez prescrit des tuiles alternées, blanches roses, et brunes. Voilà ce que cela donne !
Louis Bouffier, surnommé Benoît selon l’exégèse Périgourdine, était conseiller municipal. Il circulait en mobylette. Il arrive un matin de printemps – et Jean-Louis de mimer l’arrivée sur la place – sort un courrier de sa poche :
« Je n’y comprends, je vais voir Amédée. »
Amédée Boisseau, secrétaire de mairie, était la référence administrative, la solution à tous les problèmes. Il connaissait le registre de l’état civil par cœur, les cadastres sur le bout du doigt, savait quel temps il faisait le jour où telle personne était née ou morte.
Le courrier provenait de la MSA, et n’avait pas été ouvert. Le maire en fait la remarque, et Benoît sans se démonter, répond :
« Même si je l’ouvre, je n’y comprendrai rien… »
Les gens de cette génération avaient peu fréquenté l’école. La femme d’Amédée, Hélène Boisseau, était la dernière d’une fratrie de quatre sœurs. Elle était la seule à avoir obtenu son certificat d’études. Les aînées avaient été plus sollicitées pour les travaux domestiques. Moins instruites, elles avaient plus de difficultés pour écrire. Elles n’en tenaient pas rigueur à Hélène : elles étaient et sont toujours unies comme les doigts d’une main. Et elles racontent, rient entre elles des histoires de village… Elles n’ont pas voulu me les confier. Sans doute de crainte de perdre leur naturel, de se sentir empruntées.
A moins que je me glisse sur la pointe des pieds chez Madeleine Dugneton, dont le mari, Marcel, fut garde-champêtre, je ne partagerai jamais leurs rires… Amédée faisait aussi office d’écrivain public en sus de ses fonctions de secrétaire de mairie. Un jour le maire reçoit un appel d’un concitoyen furieux : on lui avait coupé trois chênes en élargissant la route de « Chez Toirac ». Le maire fait sa petite enquête, découvre que l’engin mandaté pour les travaux, avait mordu sur trois « jarissous » gros comme le poignet. Par « jarissous » il entend des arbres malingres. Le conducteur de l’engin s’explique par la suite :
« Il y avait le père Bouzillou de Lisle. Je lui ai demandé, il m’a dit « vas-y ».
Le paysan en question avait ajouté une suite, étouffée par le bruit de l’engin :
« Ils ne sont pas chez moi… »
Ce sont des perles que l’ancien maire couve dans une poche, à l’abri de sa veste. Je me demande s’il ne garde pas ce papier sur lui en permanence…
Paul Mercusot
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